DIX ANS ET UNE HEURE
Posted on 05. Bře, 2014 by admin in AKTUALITY, EXTRA, Z TISKU
Qui connaît le nom du détenteur du record de l’heure? Avant que Fabian Cancellara ne s’attaque à cette marque mythique, Vélo Magazine est allé à la rencontre du Tchèque Ondrej Sosenka, âgé aujourd’hui de 38 ans. Il nous a reçu chez lui, à Malé Kysice, près de Prague, où il prépare… une nouvelle tentative.
Tout est une question de temps, et chaque seconde compte. En ce 19 juillet 2005, 3 600 secondes allaient bousculer une vie, celle d’Ondrej Sosenka. Ce jour-là, à 29 ans, le géant tchèque (1,97 m) effaçait des tablettes Chris Boardman, alors détenteur du record de l’heure nouvelle formule, le portant de 49,441 à 49,700 km. 3 600 secondes qui devaient le faire passer de l’ombre à la lumière.C’est en tout cas ce que pensait Sosenka après ses 60 minutes d’anthologie.Mais si,pour nous, le temps a filé depuis ce 19 juillet 2005, pour le Tchèque, il s’est comme arrêté. Tel un oiseau de mauvais présage, Chris Boardman, peu fair-play, avait eu des mots durs à l’encontre de son successeur. « J’avoue que je suis étonné qu’un coureur presque inconnu soit capable de battre ce record! », s’était étonné le Britannique. « J’étais dans le vélodrome, à Manchester, quand Chris a battu le record, sourit Sosenka. C’était un grand moment, je l’ai même supporté. Lui, il ne s’est même pas déplacé,mais ce n’est pas grave! De toute manière, personne n’y croyait vraiment, à part quelques personnes, dont Francesco Moser et surtout mon père, Ladislav. Si je l’avais écouté, j’aurais dû tenter ce record dès 2002. Mais, quand je regardais les noms de ceux qui s’étaient mesurés à l’heure, j’avais quelques complexes. En 2005, en revanche, je n’en n’avais plus ! »
Petit coureur, disaient certains, mais, avant juillet 2005, Ondrej Sosenka, c’était cinq titres de champion de République tchèque du chrono, deux Tours de Pologne, une Course de la Paix, une étape du Tour de Belgique et quelques autres victoires moins importantes. Et puis Ondrej Sosenka, c’est surtout une Vo2 max énorme de 90 ml/min/kg et une capacité pulmonaire de 8 litres. Ceci explique cela. Mais que s’est-il passé ensuite? « Je pensais que ce record allait me donner une valeur marchande et, du coup, j’ai refusé certains contrats. Et puis il y a eu cette suspicion constante sur le fait que je ne pouvais pas réaliser 49,700 km dans l’heure sans dopage. Ça a plombé ma carrière! »
En 2007, Ondrej Sosenka passe de l’équipe italienne Acqua&Sapone à la modeste formation polonaise Action-Uniqa avant de trouver refuge chez PSK-Whirlpool en 2008, jusqu’à ce contrôle positif au Championnat national à un stimulant interdit, la méthamphétamine, qui met fin à sa carrière. « Ensuite, reprend le Tchèque, ç’a été une période sombre.J’ai suivi une thérapie chez un psychologue parce qu’être coureur,ce n’est pas la vraie vie. Professionnellement, j’ai tenté de créer une entreprise de bâtiments,mais elle a capoté. Ensuite, j’ai travaillé avec un ami, mais comme il faisait des choses illégales sans que je le sache, j’ai fini devant la police. » Pour couronner le tout, Sosenka divorce avant de reprendre le cours de sa vie en travaillant dans les jardins par le biais de l’entreprise familiale qui construit des villas de standing. « J’ai pris le temps de digérer tout ça. Aujourd’hui, j’ai récupéré. Je suis de nouveau fort dans ma tête et dans mon corps. J’ai toujours continué à faire du vélo et même quelques compétitions. Je me suis remis au travail et je suis prêt à refaire une tentative sur une heure. Le projet se nomme “Dix ans après” parce que le rendez-vous est prévu le 19 juillet 2015, soit dix ans jour pour jour après mon record de Moscou. »
PEU DE MONDE Y CROYAIT EN 2005
Tout est une question de temps. La surprise a laissé place au silence avant que Sosenka ne reprenne le fil de sa vie. « Avec Pavel Vrsecky, mon coach, nous avons redémarré l’entraînement spécifique depuis le 1er janvier. C’est reparti. Et ne me parlez pas de mon âge. Un effort au seuil, sans à-coups, c’est parfait pour un athlète quelque peu avancé en âge comme moi, non ? » Bien peu de monde y croyait avant 2005. Combien seront-ils en 2015? Sosenka ébauche un sourire en guise de réponse, avant d’ajouter: « Pour la première fois de ma carrière, je vais avoir un staff autour de moi. Ce n’était pas du tout le cas en 2005. Àpartir de 2003, j’en avais parlé en interne chez Acqua&Sapone mais jamais Palmiro Masciarelli, le manager, n’a cru en moi. Pour réaliser ce record, c’est ma famille qui a tout payé, soit l’équivalent de 27 000 euros, contrôle antidopage compris. Et encore, nous n’avons pas eu à régler la location du vélodrome à Moscou, une chance. Seul Francesco Moser, qui dotait l’équipe en vélos, a fait le forcing auprès de Masciarelli pour fabriquer une machine digne d’un record. Du coup, je n’ai reçu ce vélo que deux jours avant le jour J et il me manquait au moins 2 cm de hauteur de selle! J’ai pédalé la quasi-totalité de l’heure en faisant du bec de selle, l’enfer. C’est aussi monsieur Moser en personne qui m’a fourni cette roue arrière qui pesait 4,2 kilos. Il me disait que ça m’aiderait. La roue était pratiquement plus lourde que le reste du vélo ! Il aurait préféré que je tente le record à Stuttgart parce que les virages sont moins longs qu’à Moscou, où la piste dessine un ovale et, selon lui, ça joue sur une heure. En Allemagne, il était persuadé que j’aurais pu passer la barre des 50 km, mais c’était impossible. Comme en 2005, Francesco m’aidera dans cette nouvelle entreprise, c’est une des raisons pour laquelle nous tenterons le record en Italie. Pour la première fois de ma carrière, un ingénieur travaillera pour fabriquer un vélo, grâce à mon ami Michael Mourecek, patron des cycles Festka. D’ailleurs, il nous attend à Prague avec Pavel Vrsecky, c’est à une bonne demi-heure de route d’ici, le temps de manger un bout et on y va, vous comprendrez mieux.»
UN EFFORT AU SEUIL, SANS À-COUPS, C’EST PARFAIT POUR UN ATHLÈTE QUELQUE PEU AVANCÉ EN ÂGE COMME MOI.
Tout est question de temps, on l’a déjà dit, mais il y a des secondes que l’on aimerait voir passer plus vite afin d’arriver directement à la case « caverne d’Ali Baba » sans passer par celle du restaurant. Notre impatience est palpable tant Sosenka avait titillé notre curiosité en nous montrant ses nouvelles manivelles de 195 mm. Alors, en déjeunant, presque par obligation, nous avons parlé de Fabian Cancellara, de ses chances de battre le record établi par le Tchèque. « Je suis content que ce soit lui qui s’y attaque, réagit le Tchèque. C’est un grand champion. D’ailleurs, il m’a invité à suivre sa tentative et j’en suis honoré. La veille du Chrono des Herbiers 2005, trois mois après avoir battu le record, il était redescendu de sa chambre pour m’accompagner le temps de mon dîner. Il m’avait posé des tas de questions au sujet de ma tentative, des aspects techniques et physiques, comme le fait que je perdais 5 kilos de sueur pendant la tentative. À la fin du repas, il m’a annoncé qu’il se mesurerait à l’heure, et le moment est venu. À son propos, deux choses m’inquiètent. La première est le stress. Autour de lui, une bonne dizaine d’ingénieurs de chez Trek lui préparent son vélo. Il n’aura pas le droit à l’erreur et il devra le gérer. Ensuite, c’est son bassin qui me préoccupe, il bouge. Regardez-le pédaler de derrière et vous comprendrez. Sur la piste, c’est un désavantage, même si Fabian a une certaine expérience de la piste, notamment jusqu’en juniors. La technique de la piste, c’est ce qui a manqué à Laszlo Bodrogi et Andrey Kashechkin qui ont, à un moment donné, annoncé qu’ils voulaient battre le record. Je crois qu’ils y ont renoncé pour cette raisonlà. Pour moi, celui qui aurait le plus d’aptitudes techniques, c’est Bradley Wiggins, qui lui aussi a évoqué une tentative fin 2013, mais sans donner suite. Moi, quatre ans avant mon record, j’avais effectué quelque 20 000 km sur piste. Et ça m’a servi. À 17 minutes de la fin de mon record, j’ai été victime d’une crampe. Je savais qu’avec le pignon fixe je pouvais relâcher mon effort quelques secondes sans perdre trop de vitesse et j’ai pu tenir jusqu’au bout grâce à cette aptitude. Si jem’étais obstiné à tenir le même niveau de puissance, je n’aurais jamais terminé l’heure. Durant un tel effort, on réagit par réflexe,on ne réfléchit plus. Il faut un vécu de la piste pour s’attaquer à l’heure, je le répète, sinon on va au devant de grandes déconvenues. Au fait, savez-vous si Tony Martin a une expérience de la piste? »
IL FAUT UN VÉCU DE LA PISTE POUR S’ATTAQUER À L’HEURE, SINON ON VA AU DEVANT DE GRANDES DÉCONVENUES.
Tout est une question de temps, le compte à rebours touche à sa fin. Arrivés chez Festka, pas besoin de « sésame », la porte s’ouvre toute seule. Michael Mourecek nous y attend. Sosenka et lui se sont rencontrés lorsque Michael était une des étoiles montantes du cyclisme tchèque. « Je venais d’une autre région que Prague, j’étais complètement démuni et Ondrej m’a intégré dans son groupe d’entraînement. Deux ans après, en juniors, je participais au Championnat du monde de poursuite par équipes, où j’ai empoché une médaille de bronze. Ensuite, j’ai évolué pendant deux ans dans des équipes italiennes amateurs (Italfine et Brunero) avant de passer pro dans la modeste formation tchèque ASC Dukla Prague puis de mettre un termeàma carrière à 26 ans parce que j’étais toujours un “domestique”. Mais qu’importe, sans Ondrej, je n’aurais jamais vécu cela parce qu’il ne faut pas compter sur la fédération de notre pays pour nous aider. Il m’a hissé vers le haut et, aujourd’hui, c’est à moi de lui rendre la pareille. L’an passé,je lui ai dit que s’il souhaitait un vélo pour un nouveau record, il pouvait compter sur moi. Alors, aujourd’hui, nous oeuvrons ensemble. Notre ingénieur est en train de réaliser un vélo en fonction des demandes d’Ondrej et du règlement. Ondrej voudrait le tenter avec des manivelles entre 200 et 220 mm afin de pouvoir tirer un braquet de 58 × 13, voire 60 × 13. Grâce à l’informatique et à la 3D, nous étudions cette éventualité. » « En 2005, j’avais déjà des manivelles de 190 mm pour un braquet de 54 × 13, reprend Sosenka. Je crois qu’avec un entraînement spécifique, basé sur la force,tout est possible. »
« UN VRAI PUR-SANG »
Puisque l’on parle entraînement, Pavel Vrsecky, le coach de Sosenka et, autrefois, celui de Michael Mourecek, fait son entrée. Sosenka sourit, Vrsecky aussi. Pas besoin de longs discours entre eux, le courant passe, le temps a fait son oeuvre. « Quand j’emmène mes nouveaux élèves derrière moto, je prends toujours Ondrej comme exemple Dans cet exercice, c’est le meilleur que j’aie eu. Ondrej est un bon cheval, un vrai pursang. Il a une force dans le haut du corps insoupçonnable! » Michael Mourecek sourit et enchaîne: « Sur la route qui longe l’autoroute, les séances de moto derrière Pavel, c’était toute une histoire! Il nous arrivait de doubler les voitures, c’est dire l’allure! Pavel, c’est la rigueur russe. À 16 ans, il roulait 40 km sur piste le matin et il enchaînait l’après-midi avec 200 km sur la route! Sans parler des autres sports qui nous servaient de préparation! Comme la natation… « Depuis que j’ai arrêté de courir, je ne peux plus mettre les pieds dans une piscine », a voue-t-il pourtant. Ou le ski de fond… On le pratiquait tellementàbloc que, dès que nous participions à une compétition, nous faisions jeu égal avec les meilleurs de la discipline. » Pavel Vrsecky acquiesce et ajoute: « Pour Ondrej, ce sera de la marche dans la neige, beaucoup de VTT en montagne, un paquet de kilomètres derrière moto pour simuler les courses qu’il ne fera pas, plus tout ce qu’on faisait déjà avant. Il y a du travail mais je crois en sa réussite. J’en suis même persuadé car, en 2005, de mémoire, nous n’avions réalisé que trois séances spécifiques sur la piste avant Moscou. La veille de son record, il était resté bloqué trois heures à la douane. Bref, les conditions n’étaient pas idéales. Là, on a le temps, la technique est avec nous et c’est une nouvelle donne. Ondrej vient de m’annoncer que nous pourrons même faire des tests en soufflerie grâce à l’armée. C’est exceptionnel ! »
Chaque seconde compte, tout est une question de temps, c’est irrémédiable, telle était la donne avant notre arrivée à Malé Kysice. Alors, pourquoi vouloir remonter le temps comme le fait Sosenka? Y a-t-il un projet plus grand qu’un record de l’heure dans sa vie? Cette question, nous devions la lui poser, par peur que son existence ne s’accroche à ces 60 minutes de gloire et de frustration. « Sans ma famille, je n’aurais jamais battu le record de Boardman. Sans ma famille… C’est à moi d’en construire une aujourd’hui, poursuit le Tchèque avant de conclure: le 19 juillet 2005, j’étais en famille à Moscou. Il en sera de même le 19 juillet 2015, je peux vous l’assurer et ça suffira à mon bonheur. »
Vélo Magazine: PAR NICOLAS PERTHUIS – PHOTOS JEAN-LOUIS FEL